Tant le droit de l’UE que le droit issu de la CEDH interdisent les expulsions collectives. On entend par expulsion collective toute mesure d’éloignement forcé d’un groupe d’individus d’un territoire ou d’un pays qui ne repose pas sur un examen raisonnable et objectif de la situation particulière de chaque individu .
Droit de l’UE : Les expulsions collectives sont contraires à l’article 78 du TFUE, qui dispose que l’acquis communautaire en matière d’asile doit être conforme aux « autres traités pertinents ». Elles sont en outre interdites par l’article 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE.
CEDH : L’article 4 du Protocole no 4 interdit les expulsions collectives.
Exemple : dans l’affaire Conka c. Belgique , la CouEDH a jugé que l’éloignement d’un groupe de demandeurs d’asile roms constituait une violation de l’article 4 du Protocole no 4 à la CEDH. Elle a estimé qu’il n’était pas établi que la situation de chacun des membres du groupe expulsé ait fait l’objet d’un examen individuel. Elle a précisé que ses doutes se trouvaient renforcés par le fait que préalablement à l’opération litigieuse les instances politiques avaient annoncé la mise en œuvre d’expulsions collectives et donné des instructions à l’administration compétente en vue de leur réalisation ; que tous les intéressés avaient été convoqués simultanément au commissariat ;
que les ordres de quitter le territoire et les motifs d’arrestation avaient été libellés en des termes identiques ; que les intéressés n’avaient pas pu prendre contact avec un avocat ; et que la procédure d’asile n’était pas encore terminée.
Exemple : dans l’affaire Hirsi Jamaa et autres c. Italie , la CouEDH a conclu que les autorités italiennes avaient enfreint l’article 4 du Protocole no 4 en refoulant une embarcation de demandeurs d’asile potentiels. Elle a précisé que l’interdiction d’expulsion s’appliquait également aux mesures prises en haute mer. Dans cette affaire, elle a tenu compte des dispositions du droit international et du droit de l’UE relatives aux interventions en mer et aux obligations des garde-côtes et des navires battant pavillon, y compris dans les eaux internationales relevant de la juridiction de l’État au sens de l’article 1 de la CEDH.
Exemple : dans l’affaire Sultani c. France , le requérant, qui s’était vu refuser l’asile en France, se plaignait de la façon dont il devait être renvoyé vers l’Afghanistan. Il soutenait que l’éloigner dans le cadre d’un renvoi aérien groupé aurait constitué une expulsion collective interdite par l’article 4 du Protocole no 4. La CouEDH a rappelé qu’il fallait entendre par expulsion collective toute mesure contraignant des étrangers, en tant que groupe, à quitter un pays, sauf dans les cas où une telle mesure était prises sur la base d’un examen raisonnable et objectif de la situation particulière de chacun des étrangers qui formaient le groupe, et qu’ainsi, le fait que plusieurs étrangers fassent l’objet de décisions semblables ou soient déplacés en groupe pour des raisons pratiques ne permettait pas en soi de conclure à l’existence d’une expulsion collective lorsque chaque intéressé avait pu individuellement faire valoir devant les autorités compétentes les arguments qui s’opposaient à son expulsion, ce qui avait été le cas pour le requérant.
Les expulsions collectives sont également contraires à la Charte sociale européenne (CSE) et à son article 19, paragraphe 8, sur les garanties contre les expulsions.
Dans sa décision sur l’affaire Forum européen des Roms et des Gens du Voyage c. France , le Comité européen des droits sociaux (CEDS) a dit que les décisions
administratives ordonnant, pendant la période considérée, à des Roms d’origine roumaine ou bulgare de quitter le territoire français, alors qu’ils en étaient résidents, étaient contraires à la Charte car elles n’étaient pas fondées sur un examen de la situation individuelle des Roms, ne respectaient pas le principe de proportionnalité et présentaient un caractère discriminatoire dès lors qu’elles ciblaient la communauté rom. Il a conclu à la violation de l’article E (non-discrimination) combiné avec l’article 19, paragraphe 8, de la CSE.
Les obstacles à l’expulsion fondés sur d’autres motifs ayant trait aux droits de l’homme
Il est reconnu tant dans le droit de l’UE que dans le droit issu de la CEDH qu’il peut y avoir des obstacles à l’expulsion fondés sur des motifs ayant trait à des droits de l’homme qui ne sont pas absolus mais pour lesquels il faut ménager un équilibre entre les intérêts publics et les intérêts de la personne concernée. Parmi ces droits on trouve essentiellement le droit à la vie privée et familiale, dans le cadre duquel peuvent s’appliquer des considérations tenant à l’état de santé de la personne (y compris son intégrité physique et morale), à l’intérêt supérieur de l’enfant, à la nécessité de préserver l’unité familiale ou aux besoins particuliers des personnes vulnérables.
Droit de l’UE : Lorsqu’ils mettent en œuvre les procédures de retour, les États doivent tenir dûment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, de la vie familiale, de l’état de santé de la personne concernée et du principe de non-refoulement (article 5 de la directive « retour »).
CEDH : Les États ont le droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des ressortissants étrangers, en vertu d’un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités internationaux y compris la Convention. Il existe une jurisprudence abondante sur les circonstances dans lesquelles des droits non absolus peuvent faire obstacle à l’éloignement. Ces droits sont ceux dont l’exercice est soumis à certaines conditions (articles 8 à 11 de la CEDH). Le droit au respect de la vie privée et vie familiale protégé par l’article 8 de la CEDH est souvent invoqué à titre d’obstacle à l’expulsion dans les affaires où il n’y a pas de risque de traitements inhumains ou dégradants contraires à l’article 3. Le respect de ce droit est abordé à la section 5.2.
La présence d’obstacles à l’éloignement peut aussi être envisagée lorsqu’il est allégué qu’il y aurait violation flagrante des articles 5 ou 6 de la CEDH dans le pays de destination, notamment lorsque la personne concernée risque d’être soumise à une détention arbitraire sans être traduite en jugement, d’être emprisonnée pendant une longue durée après avoir été condamnée à l’issue d’un procès manifestement inéquitable ou d’être victime d’un déni de justice flagrant en attendant son procès. En pareil cas, la charge de la preuve incombe au requérant et un seuil élevé s’applique .
Exemple : dans l’affaire Mamatkoulov et Askarov c. Turquie , la CouEDH a examiné le point de savoir s’il y aurait eu un risque réel de déni de justice flagrant au regard de l’article 6 de la CEDH en cas d’extradition des requérants vers l’Ouzbékistan.
Exemple : dans l’affaire Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni , la CouEDH a conclu, sur le terrain de l’article 6 de la CEDH, que le requérant ne pouvait pas être expulsé vers la Jordanie car des éléments de preuve obtenus par la torture pratiquée sur des tiers seraient vraisemblablement utilisés lors de son nouveau procès.
Exemple : dans une affaire nationale, EM (Lebanon), la Chambre des Lords du Royaume-Uni a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’examiner la proportionnalité en cas de violation manifeste de droits conditionnels (non absolus) – tels que celui que protège l’article 8 de la CEDH – touchant l’essence même du droit en question .
CSE : L’article 19, paragraphe 8, interdit l’expulsion de travailleurs migrants résidant légalement sur le territoire d’un État partie à la Charte, sauf dans les cas où ils menacent la sécurité nationale ou contreviennent à l’ordre public ou aux bonnes mœurs.
Le CEDS a dit notamment que, dès lors qu’un État a octroyé le droit de séjour au conjoint et/ou aux enfants d’un travailleur migrant, la perte par le migrant de son propre droit de séjour ne peut avoir d’incidence sur les droits de séjour autonomes des membres de sa famille pendant toute la durée de validité de ce droit.
Les ressortissants étrangers séjournant depuis suffisamment longtemps sur le territoire d’un État, que ce soit en situation régulière ou avec l’acceptation tacite par les autorités de leur situation irrégulière en vue de répondre aux besoins du pays d’accueil, devraient se voir appliquer les règles qui protègent déjà d’autres étrangers contre l’expulsion .